Par THOMAS MASELIS, dermatologue
Le réseau européen de dermatologues Euromelanoma,
présent dans 33 pays, a lancé sa 25e campagne de
prévention du cancer cutané.
Cette campagne était, est et restera avant tout une campagne
de prévention menée par des dermatologues pour cibler toute
la population dans le but premier de dépister et traiter tous
les types de cancers cutanés dans toute la population le plus
rapidement possible et au stade le plus précoce possible et mais
aussi à plus long terme, de réduire voire inverser la croissance
exponentielle de ces cancers.
Pour rappel, aucun autre cancer n’a augmenté aussi rapidement
en fréquence que les cancers de la peau en Belgique. En 2004,
la Fondation Registre du Cancer recensait environ 11 000 nouveaux
cas de cancers de la peau dans notre pays, chiffre qui
passera à 50 000 en 2024 soit une augmentation de 500 %
en 20 ans. Aujourd’hui, une personne sur six développe une
tumeur cutanée au cours de sa vie. Le nombre croissant de patients
atteints d’un cancer de la peau dans notre pays est à ramener
à trois grandes causes. Outre l’espérance de vie toujours
plus longue et l’exposition plus importante aux rayons UV, les
« immunosuppresseurs » jouent également un rôle.
S’il y a un message essentiel que je souhaite faire passer dans
cette campagne de sensibilisation, c’est le fait qu’après avoir
eu un premier cancer de la peau, le risque d’en développer
un deuxième est bien réel : 12 % de ces patients font en effet
une récidive. Si l’on observe les trois cancers cutanés les
plus fréquents, ce risque atteint 40 % dans les trois ans pour
le carcinome basocellulaire et 30 % dans les cinq ans pour le
carcinome épidermoïde. Les patients atteints de mélanome ont
dix fois plus de risque de développer un nouveau mélanome.
Cela signifie non seulement que de plus en plus de Belges ont un
cancer de la peau chaque année, mais aussi que de plus en plus
de Belges en ont un pour la deuxième fois. Une étude espagnole
récente a montré qu’il n’y pas de différence en matière de protection
contre le soleil entre les personnes avec ou sans antécédent
de cancer de la peau, malgré le risque plus élevé chez celles qui
ont déjà eu un tel cancer. Une telle étude nous démontre qu’en
matière de prévention, le chemin est encore long.
Il est donc particulièrement important de suivre ces patients et
de les sensibiliser à l’auto-contrôle régulier. Cette 25e campagne
« Live & Learn + Learn to Live » se concentre sur ce
groupe de patients et vise à encourager une attitude positive
et saine.
Cette année, afin de renforcer nos actions de dépistage, nous
avons décider de collaborer avec des associations de professionnels
qui « voient » souvent la peau, comme les kinésithérapeutes,
les infirmiers à domicile, les coiffeurs, … Bien entendu, ils ne
doivent et ne peuvent pas poser de diagnostic, mais par ce regard
régulier et singulier, ils peuvent faire remarquer à leur client une
éventuelle tache suspecte, et les inciter à consulter.
Dans sa nouvelle campagne, Euromelanoma 2024 réclame
un meilleur soutien physique et psychologique à l’égard des
patients après le diagnostic. La dépression et l’anxiété sont
en effet courantes chez les patients atteints d’un mélanome, y
compris après le traitement. Un soutien insuffisant et l’angoisse
d’une récidive sont dès lors les facteurs impactant le plus la santé
et la qualité de vie des patients.
Comme l’explique explique Isabelle Merckaert, psycho-oncologue
à l’Institut Jules Bordet, celles et ceux qui ont été
confrontés à cette maladie, savent que l’impact psychologique
de l’annonce du diagnostic peut être très divers. L’annonce du
diagnostic est bien souvent un moment de rupture dans une vie
: il y a l’avant et il y a l’après. Et on espère que l’après se passe
pour le mieux. Au moment du diagnostic, toutes les émotions
présentes avant peuvent se mélanger : des sentiments d’incompréhension,
de surprise, de sidération parfois, d’injustice… le
patient a l’impression que le temps s’arrête, le silence s’installe
dans le cabinet médical. La peur, voire l’anxiété, vient ensuite,
et/ou la colère, la tristesse, la détresse… le patient vit un véritable
tourbillon émotionnel. Ressentir ces émotions multiples
et variées est normal. Elles sont tantôt confortables, tantôt inconfortables,
mais elles sont nécessaires et utiles car elles vont
permettre l’action de réaction. de réagir à ce qui se passe”. Les
onco-psychologues ont la formation pour accompagner les patients
pour qu’ils s’adaptent à l’après, pour qu’ils réapprennent
à vivre, qu’ils passent très rapidement de l’incertitude à l’espoir.
Cette année, Euromelanoma a été aussi l’occasion de sensibiliser
au Droit à l’oubli, les patients atteints d’une maladie chronique
ou qui ont été traitées pour un cancer peuvent rencontrer des
problèmes lorsqu’elles doivent souscrire une assurance solde
restant dû pour un crédit hypothécaire (ou un crédit professionnel).
En effet, lors de l’attribution d’une telle assurance,
l’assureur se renseigne sur l’état de santé de l’emprunteur et
si cet état de santé inspire des craintes quant à la durée de sa
survie – et donc de sa capacité à rembourser la totalité de son
emprunt – le contrat peut être refusé, ou majoré d’importantes
surprimes. Pour ces personnes, dites « à risque de santé aggravé »,
l’accès à la propriété d’un bien immobilier peut alors devenir très
difficile voire impossible. Plusieurs pays européens ont pris des
dispositions pour faciliter l’accès de ces personnes à l’assurance
solde restant dû. Cela fait dix ans déjà que se bat la Professeure
Françoise Meunier, fondatrice de l’initiative européenne ‘Ending
Discrimination against Cancer survivors’ pour que le fait
d’avoir un cancer et d’y survivre ne soit pas une punition à vie
étant donné les défis que représentent la discrimination financière
pour obtenir des prêts et assurances. C’est pourquoi elle
plaide en faveur de l’élaboration et de l’implémentation d’une
législation tant nationale qu’européenne pour éviter que les
survivants d’un cancer n’aient à se voir refuser des services
financiers ou à payer des surprimes injustifiées. Une telle législation
existe en Belgique depuis 2019 (et en application
depuis 2020 )avec une diminution progressive du délai après
la fin du traitement pour obtenir ce droit à l’ oubli en l’ absence
de toute récidive. En ce qui concerne le mélanome, il y a dans
certains cas une réduction de la période d’ attente après la fin
du traitement à un an, pour une excision d’un mélanome in
situ. Dans le cas de mélanome invasif, le délai en Belgique est
de huit ans jusqu’au 1er janvier 2025 et de cinq ans à partir de
janvier 2025, comme pour toutes les autres formes de cancer.
Pour rappel, en 2023, par analogie avec la bande dessinée
“Dirk”, lancée par le Dr Colemont, gastro-entérologue qui
indique comment détecter facilement le cancer de l’intestin,
nous avons édité une bande dessinée “Sunny Side Up : Le soleil,
un ami dangereux.” qui, tout en se lisant comme une histoire,
tente d’expliquer à cette génération les éléments essentiels de
l’auto-examen et du comportement correct face aux UV, le but
étant d’apporter une information correcte mais accessible et
attrayante. Ainsi, on y retrouve des dessins sur l’autocontrôle,
l’examen dermatologique et le traitement après le diagnostic
d’un naevus suspect.
Notre objectif est avant tout la prévention pour tous et donc
de gagner la bataille contre le cancer cutané, et ce aux côtés du
patient, de toutes les organisations de prévention du cancer telle
que par exemple la Fondation contre le Cancer et bien sûr de
vous dermatologues, qui jouez un rôle central dans le traitement
et la prévention de tous les cancers cutanés.